UNE ALTERNATIVE RECONNUE
À l’automne 1979, on me confiait un poste d’intervenant à la Maison St-Jacques. J’avais fais la rencontre brutale de la problématique de la santé mentale au hasard d’un travail d’étudiant comme préposé aux bénéficiaires à Saint-Jean de Dieu (Louis-Hippolyte Lafontaine) au début des années 70. Cette difficile confrontation à la réalité m’avait rapidement fait intégrer l’empathie, le respect et la solidarité, en plus de me rendre acteur dans la lutte contre la souffrance et l’exclusion. Cette promiscuité avec la folie, m’amena à partager avec les intervenants progressistes, une analyse-terrain des limites de l’institution et de l’inévitable « virage » vers la communauté.
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Au début de 1980, la co-gestion me confie (à la majorité) le poste de directeur. Mon mandat s’est rapidement concentré sur la survie de la Maison St-Jacques qui était menacée de disparaître à toutes les fins de mois. Les subventions arrivaient au compte-gouttes et suffisaient à peine à éponger nos dettes envers les travailleurs et envers nos fournisseurs.
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La Maison St-Jacques était de plus en plus connue et son intervention alternative à la psychiatrie, jouant les rôles de groupe d’entraide et de défense de droits, de lieu d’hébergement, de centre de crise, et de milieu thérapeutique, attirait l’attention et la réaction du milieu de la santé mentale. La majorité progressiste soutenait l’alternative. Les milieux communautaires et les organisations syndicales nous supportaient, mais aussi: les intervenants du réseau, orientés vers le communautaire, les psychiatres critiques des limites de leur structure, les médecins acculés aux limites des services régionaux, et les gestionnaires des programmes de santé mentale sensibles aux failles de leur système; les références nous venaient de partout.
La Maison St-Jacques était étiquetée par certains comme étant le chef-lieu de l’antipsychiatrie, alors que la psychiatrie y référait. Un professeur de la faculté de médecine de l’Université de Montréal nous envoyait même ses étudiants durant leur familiarisation avec la psychiatrie pour les « dés-institutionnaliser ». La Maison St-Jacques n’était pas du « Voyage à travers la folie » et ne naviguait pas dans l’antipsychiatrie. Elle bâtissait l’alternative.
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Nous menions des débats virulents avec les tenants de la psychiatrie traditionnelle et avions à faire face à la satisfaction de ces derniers lorsqu’ils constataient notre échec à aider un usager à traverser sa crise, après l’avoir convaincu de l’accompagner à l’urgence de l’hôpital pour diminuer temporairement sa souffrance. L’usager avait alors droit à une leçon de « morale institutionnelle » pour s’être écarté du pouvoir et pour l’avoir contesté. L’hôpital comptait les points dans une joute où nous ne participions pas et renchérissait sa campagne visant à faire coller son diagnostic d’antipsychiatrie à notre intervention. L’anti-institution aurait été plus juste.
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Au début des années 80, le Ministère de la santé et des services Sociaux reconnaît la Maison St-Jacques et accorde pour la première fois, à un organisme alternatif à son réseau de la santé mentale, un financement récurrent tenant compte de ses besoins. Cette reconnaissance acquise, la Maison St-Jacques est alors devenue un véritable partenaire et a su établir des collaborations fructueuses et à multiples niveaux avec le réseau, dans une perspective de développement communautaire et alternatif en santé mentale.
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J’ai quitté mon poste à la direction de la Maison St-Jacques pour assumer la direction d’Accès-Cible (S. M. T.) lors de son implantation. Accès-Cible (S. M. T.) , organisme communautaire et alternatif en santé mentale, dont le mandat est de favoriser la réinsertion socio-économique des personnes exclues du marché du travail à cause de problèmes de santé mentale, est devenu un nouveau partenaire de la Maison St-Jacques, du réseau communautaire et du réseau institutionnel.
Longue vie à la Maison St-Jacques, et longue vie à ses partenaires!
Claude Charbonneau